mardi 22 mai 2012

Conflits au Liban : les failles politiques ou un nouveau front de guerre contre la Syrie.


Ali Allouche, Assafir
Cet article est la somme de mes lectures sur la situation actuelle du Liban.

Depuis la mi-mai, le Liban vit des perturbations qui ont commencé par un accrochage armé entre deux régions ennemies dans la ville de Tripoli au Nord du pays. Ces incidents habituels à Tripoli qu’on croyait localisés se sont propagés près une semaine dans la ville voisine d’Akkar pour atteindre Beyrouth à la fin de la journée. Les médias français, peu prolixes sur la question, ont interprété schématiquement ces événements par l’exportation du conflit syrien au Liban (tension entre pro et anti-régime Bashar). Cependant, on a omis d’exposer ce que j’appelle « l’exception politique libanaise » et ses enjeux géopolitiques qui sous-tendent l’inscription du pays dans la crise régionale. La congestion de la rue libanaise traduite par des accrochages armés est visiblement contagieuse et donne à croire que le pays s’avance vers une crise difficile à freiner.

è  L’exception politique libanaise
Le modèle politique libanais se caractérise par ce qu’on peut appeler la « féodalité des partis »[1]. Un nombre de personnes charismatiques monopolise le pouvoir en s’appuyant sur l’ancrage socio-historique de leurs familles mais surtout sur la légitimité puisée dans le sectarisme qui divise la population depuis de longues années. Les grands partis feudataires comme le Hezbollah ou le Courant du Futur maintiennent une représentativité élevée grâce à l’argument de la toute-puissance et de la force militaire. Ils ravivent l’hostilité populaire à l‘état et fidélisent leurs partisans avec des services sociaux que le secteur public ne peut toujours pas assurer. La propagande et le lavage de cerveau sont l’un des moteurs politiques puissants du pays. Chaque parti essaie d’exacerber les inimitiés voire la haine de ses électeurs vis-à-vis des partis représentant des rites opposés.
Dans un contexte de division et de domptage populaire d’une part et d’un changement de position permanent des partis politiques d’autre part, le pays se trouve dans l’impossibilité de créer un consensus national autant sur les questions locales que régionales.

è  Inscription dans le conflit syrien
Les autorités libanaises appréhendaient déjà la répercussion du conflit syrien sur la sécurité des régions frontalières. Les réfugiés syriens dont le nombre ne cesse d’augmenter avec la montée de la répression du régime de Bashar ont été présentés par le gouvernement libanais-officieusement pro-Bashar- comme un « foyer de tension sur son territoire » qui « entrave les efforts déployés pour empêcher la propagation du feu syrien au Liban ». Cependant  le pouvoir n’a pas pu afficher une position officielle da la crise syrienne et se cache encore derrière la politique de distanciation imposée par la division du peuple entre pourfendeurs et sympathisants du régime syrien. Mais cette position n’est plus acceptable à présent. On y reviendra.
Sur le terrain, les partis libanais participent depuis longtemps dans l’armement du conflit syrien, appuyés par leurs alliés géopolitiques. Le bloc anti-Bashar que sont les Etats-Unis et les pays du Golf finance l’Armée Syrienne Libre (sunnite) et a pour pion libanais le Courant du Futur (parti sunnite). Quant aux alliés du gouvernement syrien, ce sont l’Iran et le Hezbollah (parti chiite qui protège les alaouites).
Les sanctions économiques imposées à la Syrie n’ont eu aucun effet à court terme. De plus, le bloc anti-Bashar  s’est trouvé dans l’impossibilité d’installer une base d’appui efficace qui ravitaille l’Armée Syrienne Libre sur les frontières iraquiennes, turques ou jordaniennes et qui puisse renverser le régime syrien. Dans ce contexte, le Liban départagé n’est pas non plus une carte gagnante pour le bloc anti-Bashar. Un scandale a éclaté le mois dernier quand un navire venu de Lybie et destiné à la rébellion syrienne a été intercepté près de Beyrouth. Les autorités libanaises urgées par le Hezbollah  avaient  saisi trois containers d'armes. Ceux sont autant de lignes de mire du régime syrien qui reste hors d’atteinte.
L’intervention de l’Otan susceptible de mettre fin à la bataille n’est pas non plus envisageable car le bloc allié de la Syrie, Iran-Russie-Hezbollah est un adversaire de masse. Une guerre dans la région ne pourra être que mondiale et mettrait en danger Israël. L’équilibre de la terreur entre pro et anti-Bashar qui maintien un match nul au Liban devait donc être déstabilisé pour faciliter l’infiltration des forces opposées au régime syrien. C’est ainsi qu’on peut expliquer l’apparition des symptômes de « la contagion syrienne » apparus.

è  Début de la crise à Tripoli
De par sa proximité géographique et les échanges humains et économiques avec la Syrie, la ville du nord Tripoli, située seulement à 25 kilomètres de la frontière syrienne et appelée « Tripoli-Damas » par ses habitants, a toujours été perméable aux fluctuations de la situation de son pays voisin.
La région du Nord morcelée comme tout le Liban entre les différents rites se caractérise par une concentration islamiste notable et fortement armée qui est cependant partagée entre chiites et alaouites d’un côté et sunnites de l’autre. L’armée et le gouvernement qui ne détiennent pas le véritable pouvoir- mais subissent l’autorité du Hezbollah- n’ont pu désarmer aucune des partis antagonistes malgré l’insécurité  de la ville et le mécontentement de la population.
Depuis plus de trente ans, un conflit alimenté par les partis antagonistes oppose deux quartiers voisins de Tripoli : Jabal Mohsen (alaouites, pro-Hezbollah) et Beb Ettebene (sunnites anti-Bashar). Lors des accrochages, l’armée intervient généralement à postériori.
La Sûreté Générale, organe gouvernemental dont le chef, le général Abbas Ibrahim est proche du Hezbollah pro-syrien, prétend ne jouer aucun rôle dans les enquêtes criminelles. Au début du moi de mai, cet organe a arrêté, en collaboration avec les services secrets syriens, un militant salafiste (sunnite) répondant au nom de Shadi Mawlawi, suspecté de coordonner avec et de financer des groupes terroristes. Cette arrestation éclair qui a ravivé les animosités a provoqué samedi 12 mai des heurts entre Jabal Mohsen et Beb Ettebene. Les affrontements ont duré une semaine et fait dix morts et plusieurs blessés.
L’armée a été déployée lundi 14 après un week-end de terreur. Saad Hariri, leader du Courant du Futur, s’est alors vu dans l’obligation d’appeler ses alliés salafistes- qu’il finance avec l’aide des Etats-Unis et du Golf- à la « retenue ».
Mort d'Abdelwahed à Akkar

è  Assassinat d’un dignitaire sunnite anti-Bashar à Akkar
On croyait l’agitation cantonnée dans la ville de Tripoli, surtout après un retour relatif et méfiant au calme mais elle a atteint la ville voisine d’Akkar samedi 19 mai. Le convoi d’un imam sunnite nommé Abdelwahed, proche des islamistes syriens et libanais et du Courant du Futur avait refusé de s’arrêter à un barrage de l’armée, provoquant des tirs qui ont causé sa mort. L’armée a déclaré avoir trouvé dans sa voiture des armes. La ville d’Akkar s’est alors soulevée et les habitants ont demandé le retrait de l’armée. Les forces de l’ordre sont alors intervenues.

è  La crise atteint Beyrouth
Des manifestations peu importantes ayant pour prétexte l’indignation de l’«assassinat » d’Abdelwahed ont commencé à Beyrouth et ont vite tourné au drame. Plusieurs routes d’entrée de Beyrouth ont été incendiées par des personnes cagoulées. S’accusant mutuellement de tirer sur les manifestants, eux même armés[sic!], le Mouvement du futur et le Parti du courant arabe -petite formation sunnite pro Bashar- sont entrés en confrontation à coups de mitrailleuses et de roquettes. Chaker Al Barjewi, leader du Parti du courant arabe, sunnite mais sympathisant avec le Hezbollah, a démenti la relation supposée entre la mort de l’imam à Akkar et les incidents de Beyrouth. Cependant l’immeuble du siège du parti de Barjawi a été assiégé par les forces de Hariri et son bureau saccagé. Malgré les appels des habitants à cesser le feu ou les évacuer, les affrontements n’ont cessé qu’à l’aube quand Barjawi a pu s’enfuir après l’assassinat de l’un de ses accompagnateurs. Les confrontations ont fait trois morts et 18 blessés. Hariri a accusé Damas de vouloir semer le chaos au Liban pour détourner l'attention de la crise en Syrie.
Par ailleurs, Shadi Mawlawi est comparu aujourd’hui 22 mai devant le tribunal militaire de Beyrouth, déclarant appartenir à Al Qaida. Les activités des courants islamistes sunnites de Tripoli ont repris de plus belle aujourd’hui. Ces courants revendiquent  la libération de Mawlawi et menacent les autorités de venir à Beyrouth si elles ne s’exécutent pas. Il a finalement été libéré sans jugement.

è  Le Liban, nouvelle carte du bloc anti-Bashar
Les accrochages avaient donc commencé entre sunnites et alaouites à Tripoli puis ils ont opposé l’armée à un imam sunnite pro-Hezbollah à Akkar pour aboutir à un accrochage entre deux partis sunnites l’un pro l’autre anti-Bashar à Beyrouth. Le Mouvement du Futur, appuyé par d’autres parlementaires de l’opposition, réclame depuis hier 21 mai la démission d’un gouvernement qui ne sert pas trop l’intérêt de ses alliés géopolitiques. Il est évident que ces événements n’étaient pas innocents politiquement.
Il est à noter que le pouvoir de ces mouvements salafistes (sunnites) est exponentiel à un tel point qu’il a même tiré sur le siège du Futur, le leader qui chapotait toutes les tendances sunnites du pays. Les Etats-Unis et le Golf appuient le milieu salafiste sunnite anti-Bashar et mettent en place une insurrection islamiste. Cette insurrection est à la fois contre le gouvernement-et donc l’armée- qui ne veut toujours pas prendre une position officielle de Bashar, contre ses leaders politiques qui n’ont toujours pas ouvert un véritable front qui appui l’opposition syrienne et contre tout autre mouvement sympathisant avec Le Hezbollah-comme la petite formation du Parti du courant arabe. Le bloc anti-Bashar ne recule devant rien, même pas nuire à leur allié Hariri, pour donner l’hégémonie aux salafistes susceptibles renverser l’armée libanaise et permettre une meilleure pénétration du sol syrien.
Ce plan nous pourrait s’implémenter sans grands dégâts vu l’équilibre des forces. Dans cette perspective, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, le Qatar, le Bahreïn ont invité leurs ressortissants à quitter le Liban. C’est une déclaration de guerre ouverte, sinon une preuve inéluctable de la crise qu’on est en train de fabriquer pour le Liban.

Sources :
"لهذه الأسباب إنفجرت في طرابلس" سيمون بولس
"في أسس العلاقة مع النظام اللبناني: ديكتاتوريات إقطاعية" عماد البزّي
الشارع السني لقيادته: الأمر لي! ابراهيم الأمين



[1] "في أسس العلاقة مع النظام اللبناني: ديكتاتوريات إقطاعية" عماد البزّي

dimanche 20 mai 2012

Leila Trabelsi a d’autres Ben Ali à fouetter



Non Leila Trabelsi ne s’est pas réveillée un beau jour avec des dons d’écrivain. A travers ce livre, elle ne s’adresse pas à nous pour le plaisir de nous narguer. Elle a d’autres Ben Ali à fouetter. Vous vous doutez bien que notre Catherine II  de Russie n’expose pas cyniquement ses délits pour nous tirer sa langue.
Pourquoi le livre de Leila fait-il polémique ?(Màj) On a entendu dire que le livre allait être censuré. Puis un démenti a été publié affirmant qu'il allait bel et bien être diffusé et que les royalties seraient saisies par l'Etat. Voyons, vous n'avez pas cru que le gouvernement qui n’a pas hésité à bastonner les familles des martyrs et blessés de la révolution faisant fi de leurs revendications s’inquièterait  des sentiments du peuple tunisien et voudrait ménager notre sensibilité !
Le peuple qui n’a toujours pas été dédommagé des années de misère et de souffrance comme certains ayatollahs, grands gagnants du loto révolutionnaire, pourrait se le rappeler et reprendre son tapage (« revendications », dans une autre version). On veut nous rassurer de temps en temps sur nos deniers perdus (Le président de la commission nationale pour la restitution des fonds placés à l'étranger, Mustapha Kamel Nabli, a annoncé au début du mois d’avril que 28 millions de dinars de Leïla Trabelsi, allaient être restitués à la Tunisie). Cependant on ne voudrait pas raviver la polémique sur les sommes faramineuses spoliées qui peuvent à elles seules renflouer les caisses de l’état.
Leila fait un buzz parce qu’elle s’ennuit?La Trabelsi s’en fout «royalement» de faire parler d’elle. Son but n’est ni de se faire détester davantage (On ne sait jamais, elle pourra être rapatriée un beau jour, pourquoi pas !) ni de créer le buzz. C’est à mon sens une sage politique de la terre brûlée. Elle nous envoie ce beau cadeau pour tâcher l’image de ses ex-serviteurs et complices qui sont aujourd’hui partie intégrante du paysage politique tunisien, jouissent encore de leurs biens acquis à la sueur des fronts et ont des relations très cordiales avec le gouvernement.
Le livre est parait-il déjà disponible sur internet. Donc même s'il vous arrivait de le censurer, on le lirait gratuitement.

L’ISIE, bon serviteur (?) et mauvais maître



La cérémonie de clôture des travaux de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections a eu lieu ce vendredi 18 mai 2012 en grandes pompes. Le Président de la République provisoire Moncef Marzouki a exprimé sa volonté de reconduire l’ISIE en réaffirmant sa confiance en son honnêteté et son impartialité. Son appel à la création d’un consensus national sur le renouvellement du mandat de ses membres pour l’organisation des prochaines élections fait manifestement l’unanimité dans la troïka.
À quand la dissolution de l’ISIE ?Le Décret loi n°27-2011 du 18 avril 2011 portant création de L’ISIE ayant « pour but l’organisation des élections de l’Assemblée nationale constituante » stipule que « sa mission arrivera à terme avec la publication des résultats définitifs des élections ». Ces derniers ayant été proclamés le 14 novembre 2011, cela fait donc six mois que l’ISIE dépasse son échéance légale. Kamel Jandoubi, à cheval sur la légalité, allègue que «la dissolution ou encore le remplacement de l’ISIE par une autre instance doit faire l’objet d’une loi». C’est selon lui la seule raison de la survivance de ce corps. La question qui se pose est : pourquoi omet-on d’édicter cette loi qui ne demande pourtant pas beaucoup d’efforts ? L’argument de Jandoubi est peu crédible et laisse transparaitre une stratégie sous-jacente avec l’aval du gouvernement et de son Président.
Un petit rappel du labeur de l’ISIEIl est de notoriété publique que l’Instance n’a pas mené à bon port les élections constitutionnelles d’Octobre 2011 qui étaient censées donner pour la première fois droit au chapitre au peuple tunisien. Contre toute attente, l’ISIE a manqué de transparence et a failli dans la gestion technique des élections.
Le nombre des dépassements enregistrés est affligeant. Notons à juste titre que le recrutement des présidents et membres de bureaux de vote n’a pas été transparent, que la procédure de dépouillement n’a pas été pleinement contrôlée par le corps de l’ISIE, que la proclamation des résultats a eu lieu quatre longs jours après la fin du vote (les urnes ont pu entre temps se dégourdir les jambes et être aérées). Ce sont autant de zones d’ombre dans l’agrégation des votes.
Réaction de l’ISIE après les élections d’octobre 2011Face aux protestations populaires et politiques exprimées par des manifestations et 114 recours devant le Tribunal administratif, l’ISIE n’a pu qu’annuler quelques listes d’el Aridha. En outre, le contrôle étranger a savamment été écarté lors des élections et on veut maintenir cette position puisque Sami Ben Slama, responsable des affaires juridiques à l’ISIE, nous a bien mis en garde contre l’ingérence des experts étrangers qui empêcherait l’indépendance et l’impartialité de l’organisme qui va à l’avenir surveiller les élections.
Par ailleurs, Marzouki a évoqué « la nécessité de mettre en place une instance indépendante pour superviser les élections municipales, législatives, présidentielles ou même les referendums». On dénote donc une volonté expresse de léguer la gérance de tous les processus électoraux futurs à une seule entité. La centralisation du dispositif de « contrôle » n’est autre qu’un retour à la monopolisation des prérogatives politiques qui a longtemps paralysé le pays.
L’impunité légale de l’ISIE.
Le Décret loi n°27-2011 énonce que « Les membres de l’ISIE bénéficient de l’immunité contre les poursuites et l’arrestation pour les actes entrepris dans le cadre de leurs activités ainsi que les actes entrepris lors de l’exercice de leurs fonctions au sein de l’instance.». Cette clause qui se passe de commentaire explicite l’exemption de l’ISIE de toute poursuite judiciaire et tacitement la souveraineté indiscutable dont elle s’est dotée.
Pour conclure, la troïka veut maintenir une instance qui a renouvelé le processus faussé qui caractérise nos élections depuis 1956, s’assurer de la pérennité du mécanisme qui a permis son accession au pouvoir et lui attribuer la gérance de tous les niveaux électoraux, pour optimiser son implantation.
Nous n’avons pas été dédommagés des dépassements de l’ISIE faute d’une contestation forte et unanime de la société civile. « La stupidité, c'est de reproduire […] les mêmes comportements et de s'attendre à des résultats différents. », nous dit Neil Donald Walsch.
À bon entendeur salut !