Ali Allouche, Assafir |
Cet article est la somme de mes lectures
sur la situation actuelle du Liban.
Depuis la mi-mai, le Liban vit des perturbations
qui ont commencé par un accrochage armé entre deux régions ennemies dans la
ville de Tripoli au Nord du pays. Ces incidents habituels à Tripoli qu’on
croyait localisés se sont propagés près une semaine dans la ville voisine
d’Akkar pour atteindre Beyrouth à la fin de la journée. Les médias français,
peu prolixes sur la question, ont interprété schématiquement ces événements par
l’exportation du conflit syrien au Liban (tension entre pro et anti-régime
Bashar). Cependant, on a omis d’exposer ce que j’appelle « l’exception
politique libanaise » et ses enjeux géopolitiques qui sous-tendent l’inscription
du pays dans la crise régionale. La congestion de la rue libanaise traduite par
des accrochages armés est visiblement contagieuse et donne à croire que le pays
s’avance vers une crise difficile à freiner.
è L’exception politique libanaise
Le modèle politique libanais se
caractérise par ce qu’on peut appeler la « féodalité des partis »[1]. Un nombre de
personnes charismatiques monopolise le pouvoir en s’appuyant sur l’ancrage
socio-historique de leurs familles mais surtout sur la légitimité puisée dans
le sectarisme qui divise la population depuis de longues années. Les grands
partis feudataires comme le Hezbollah ou le Courant du Futur maintiennent une
représentativité élevée grâce à l’argument de la toute-puissance et de la force
militaire. Ils ravivent l’hostilité populaire à l‘état et fidélisent leurs
partisans avec des services sociaux que le secteur public ne peut toujours pas
assurer. La propagande et le lavage de cerveau sont l’un des moteurs politiques
puissants du pays. Chaque parti essaie d’exacerber les inimitiés voire la haine
de ses électeurs vis-à-vis des partis représentant des rites opposés.
Dans un contexte de division
et de domptage populaire d’une part et d’un changement de position permanent
des partis politiques d’autre part, le pays se trouve dans l’impossibilité de
créer un consensus national autant sur les questions locales que régionales.
è Inscription dans le conflit syrien
Les autorités libanaises
appréhendaient déjà la répercussion du conflit syrien sur la sécurité des
régions frontalières. Les réfugiés syriens dont le nombre ne cesse d’augmenter
avec la montée de la répression du régime de Bashar ont été présentés par le gouvernement
libanais-officieusement pro-Bashar- comme un « foyer de tension sur son
territoire » qui « entrave les efforts déployés pour empêcher la
propagation du feu syrien au Liban ». Cependant le
pouvoir n’a pas pu afficher une position officielle da la crise syrienne et se
cache encore derrière la politique de distanciation imposée par la division du
peuple entre pourfendeurs et sympathisants du régime syrien. Mais cette
position n’est plus acceptable à présent. On y reviendra.
Sur le terrain, les
partis libanais participent depuis longtemps dans l’armement du conflit syrien,
appuyés par leurs alliés géopolitiques. Le bloc anti-Bashar que sont les
Etats-Unis et les pays du Golf finance l’Armée Syrienne Libre (sunnite) et a
pour pion libanais le Courant du Futur (parti sunnite). Quant aux alliés du
gouvernement syrien, ce sont l’Iran et le Hezbollah (parti chiite qui protège
les alaouites).
Les sanctions économiques imposées à la Syrie n’ont eu aucun effet à court
terme. De plus, le bloc anti-Bashar s’est trouvé dans l’impossibilité d’installer
une base d’appui efficace qui ravitaille l’Armée Syrienne Libre sur les
frontières iraquiennes, turques ou jordaniennes et qui puisse renverser le
régime syrien. Dans ce contexte, le Liban départagé n’est pas non plus une
carte gagnante pour le bloc anti-Bashar. Un scandale a éclaté le mois dernier quand
un navire venu de Lybie et destiné à la rébellion syrienne a été intercepté près
de Beyrouth. Les autorités libanaises urgées par le Hezbollah avaient
saisi trois containers d'armes. Ceux sont autant de lignes de mire du régime syrien qui reste hors
d’atteinte.
L’intervention de
l’Otan susceptible de mettre fin à la bataille n’est pas non plus envisageable
car le bloc allié de la Syrie, Iran-Russie-Hezbollah est un adversaire de
masse. Une guerre dans la région ne pourra être que mondiale et mettrait en
danger Israël. L’équilibre de la terreur entre pro et anti-Bashar qui maintien
un match nul au Liban devait donc être déstabilisé pour faciliter l’infiltration
des forces opposées au régime syrien. C’est ainsi qu’on peut expliquer
l’apparition des symptômes de « la contagion syrienne » apparus.
è Début de la crise à Tripoli
De par sa proximité géographique et les
échanges humains et économiques avec la Syrie, la ville du nord Tripoli, située seulement à 25 kilomètres de la frontière
syrienne et appelée « Tripoli-Damas » par ses habitants, a
toujours été perméable aux fluctuations de la situation de son pays voisin.
La région du Nord morcelée comme tout le
Liban entre les différents rites se caractérise par une concentration islamiste
notable et fortement armée qui est cependant partagée entre chiites et
alaouites d’un côté et sunnites de l’autre. L’armée et le gouvernement qui ne
détiennent pas le véritable pouvoir- mais subissent l’autorité du Hezbollah- n’ont
pu désarmer aucune des partis antagonistes malgré l’insécurité de la ville et le mécontentement de la population.
Depuis plus de trente ans, un conflit
alimenté par les partis antagonistes oppose deux quartiers voisins de Tripoli :
Jabal Mohsen (alaouites, pro-Hezbollah) et Beb Ettebene (sunnites anti-Bashar).
Lors des accrochages, l’armée intervient généralement à postériori.
La Sûreté Générale, organe
gouvernemental dont le chef, le général Abbas Ibrahim est proche du Hezbollah
pro-syrien, prétend ne jouer aucun rôle dans les enquêtes criminelles. Au début
du moi de mai, cet organe a arrêté, en collaboration avec les services secrets
syriens, un militant salafiste (sunnite) répondant au nom de Shadi Mawlawi,
suspecté de coordonner avec et de financer des groupes terroristes. Cette
arrestation éclair qui a ravivé les animosités a provoqué samedi 12 mai des heurts
entre Jabal Mohsen et Beb Ettebene. Les affrontements ont duré une semaine et
fait dix morts et plusieurs blessés.
L’armée a été déployée
lundi 14 après un week-end de terreur. Saad Hariri, leader du Courant du Futur,
s’est alors vu dans l’obligation d’appeler ses alliés salafistes- qu’il finance
avec l’aide des Etats-Unis et du Golf- à la « retenue ».
Mort d'Abdelwahed à Akkar |
è Assassinat d’un dignitaire sunnite anti-Bashar à Akkar
On croyait l’agitation
cantonnée dans la ville de Tripoli, surtout après un retour relatif et méfiant
au calme mais elle a atteint la ville voisine d’Akkar samedi 19 mai. Le convoi
d’un imam sunnite nommé Abdelwahed, proche des islamistes syriens et libanais
et du Courant du Futur avait refusé de s’arrêter à un barrage de l’armée,
provoquant des tirs qui ont causé sa mort. L’armée a déclaré avoir trouvé dans
sa voiture des armes. La ville d’Akkar s’est alors soulevée et les habitants
ont demandé le retrait de l’armée. Les forces de l’ordre sont alors intervenues.
è La crise atteint Beyrouth
Des manifestations peu
importantes ayant pour prétexte l’indignation de l’«assassinat »
d’Abdelwahed ont commencé à Beyrouth et ont vite tourné au drame. Plusieurs
routes d’entrée de Beyrouth ont été incendiées par des personnes cagoulées. S’accusant
mutuellement de tirer sur les manifestants, eux même armés[sic!], le Mouvement
du futur et le Parti du courant arabe -petite formation sunnite pro Bashar- sont
entrés en confrontation à coups de mitrailleuses et de roquettes. Chaker Al
Barjewi, leader du Parti du courant arabe, sunnite mais sympathisant avec le Hezbollah,
a démenti la relation supposée entre la mort de l’imam à Akkar et les incidents
de Beyrouth. Cependant l’immeuble du siège du parti de Barjawi a été assiégé par
les forces de Hariri et son bureau saccagé. Malgré les appels des habitants à
cesser le feu ou les évacuer, les affrontements n’ont cessé qu’à l’aube quand
Barjawi a pu s’enfuir après l’assassinat de l’un de ses accompagnateurs. Les
confrontations ont fait trois morts et 18 blessés.
Hariri a accusé Damas de vouloir semer le chaos au Liban pour détourner
l'attention de la crise en Syrie.
Par ailleurs, Shadi
Mawlawi est comparu aujourd’hui 22 mai devant le tribunal militaire de Beyrouth,
déclarant appartenir à Al Qaida. Les activités des courants islamistes sunnites
de Tripoli ont repris de plus belle aujourd’hui. Ces courants revendiquent la libération de Mawlawi et menacent les
autorités de venir à Beyrouth si elles ne s’exécutent pas. Il a finalement été
libéré sans jugement.
è Le Liban, nouvelle carte du bloc anti-Bashar
Les accrochages avaient
donc commencé entre sunnites et alaouites à Tripoli puis ils ont opposé l’armée
à un imam sunnite pro-Hezbollah à Akkar pour aboutir à un accrochage entre deux
partis sunnites l’un pro l’autre anti-Bashar à Beyrouth. Le Mouvement du Futur,
appuyé par d’autres parlementaires de l’opposition, réclame depuis hier 21 mai
la démission d’un gouvernement qui ne sert pas trop l’intérêt de ses alliés
géopolitiques. Il est évident que ces événements n’étaient pas innocents
politiquement.
Il est à noter que le
pouvoir de ces mouvements salafistes (sunnites) est exponentiel à un tel point
qu’il a même tiré sur le siège du Futur, le leader qui chapotait toutes les
tendances sunnites du pays. Les Etats-Unis et le Golf appuient le milieu salafiste
sunnite anti-Bashar et mettent en place une insurrection islamiste. Cette
insurrection est à la fois contre le gouvernement-et donc l’armée- qui ne veut
toujours pas prendre une position officielle de Bashar, contre ses leaders
politiques qui n’ont toujours pas ouvert un véritable front qui appui
l’opposition syrienne et contre tout autre mouvement sympathisant avec Le
Hezbollah-comme la petite formation du Parti du courant arabe. Le bloc
anti-Bashar ne recule devant rien, même pas nuire à leur allié Hariri, pour
donner l’hégémonie aux salafistes susceptibles renverser l’armée libanaise et permettre
une meilleure pénétration du sol syrien.
Ce plan nous pourrait
s’implémenter sans grands dégâts vu l’équilibre des forces. Dans cette
perspective, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, le Qatar, le Bahreïn ont invité leurs ressortissants
à quitter le Liban. C’est une déclaration de guerre ouverte, sinon une preuve inéluctable
de la crise qu’on est en train de fabriquer pour le Liban.
Sources :
"لهذه الأسباب إنفجرت في طرابلس" سيمون بولس
"في أسس العلاقة مع النظام اللبناني:
ديكتاتوريات إقطاعية" عماد البزّي
الشارع السني لقيادته: الأمر لي! ابراهيم الأمين
السّفير
Paru sur:Wikistrike.com :http://www.wikistrike.com/article-conflits-au-liban-les-failles-politiques-ou-un-nouveau-front-de-guerre-contre-la-syrie-105727194.html
Webdo.tn http://www.webdo.tn/2012/05/23/opinion-conflits-au-liban-les-failles-politiques-ou-un-nouveau-front-de-guerre-contre-la-syrie/
Agoravox http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/conflits-au-liban-les-failles-117350
Paru sur:Wikistrike.com :http://www.wikistrike.com/article-conflits-au-liban-les-failles-politiques-ou-un-nouveau-front-de-guerre-contre-la-syrie-105727194.html
Webdo.tn http://www.webdo.tn/2012/05/23/opinion-conflits-au-liban-les-failles-politiques-ou-un-nouveau-front-de-guerre-contre-la-syrie/
Agoravox http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/conflits-au-liban-les-failles-117350